Le virus dont nous a gratifié l’année 2020 a remis en cause bien des choses. De façon tout à fait personnelle, elle m’a privée – ou du moins a sérieusement mis à mal – deux de mes activités professionnelles. Les conférences sont en stand-by, le tourisme est extrêmement limité et me voilà chez moi, devant mon ordinateur, à écrire sur un sujet que je connais par cœur. Me voilà à faire des pieds et des mains pour me démarquer des autres sur les réseaux sociaux, où nous nous retrouvons tous agglutinés d’un coup.
À la recherche d’un nouveau couvre-chef
J’aime écrire au sujet du handicap, je le fais depuis plus de six ans maintenant, mais j’ai besoin d’autre chose en plus. Une seule casquette ne me suffit pas, ne me stimule pas assez. Quant à la course sur Facebook, Twitter ou Instagram à celui qui utilisera le mieux le mot « résilience », je ne souhaite pas y prendre part.
Les confinements m’ont fait comprendre qu’être chez soi, se poser, arrêter de courir dans tous les sens, ça n’est pas si mal, c’est même agréable : ils ont calmé mon hyperactivité et mon besoin de continuer à apporter des preuves que la vie en fauteuil peut être très cool. Tout simplement parce que ces preuves, personne ne me les réclame. Je n’ai pas besoin de me prouver ce que je sais être dans la capacité de faire. Je n’ai pas besoin de prouver à mes proches que mes rires et mes sourires ne cachent aucun mal-être dissimulé. Je n’ai pas besoin de prouver aux inconnus que ma vie n’est pas le destin tragique que je lis parfois dans leurs yeux lorsqu’ils me voient. Parce que ma liberté, je l’ai gagnée à force de travailler à l’apprivoisement de ce corps qui fonctionne autrement. Parce que mes proches m’aiment et que je n’ai pas à me sentir jugée par les gens que j’aime. Et parce que les inconnus pensent bien ce qu’ils veulent, ça ne m’appartient pas.
Trouver la bonne pièce du puzzle
Mais si je n’ai plus ce combat-là, qu’ai-je donc ? Si je n’ai plus ni le besoin, ni, par la période que nous vivons, la possibilité de partir dans tous les sens (quel que soit le degré auquel on prend cette expression) que me reste-t-il ? C’est une question qui met face à un vide de plein ou un plein de vide : la question que le méchant se pose lorsqu’après des années, il assouvit enfin sa vengeance, que le gentil se pose lorsqu’après des années il récupère enfin son royaume/sa princesse/ses pouvoirs/sa famille (rayez les mentions inutiles). Lorsque le rêve ou la quête s’accomplit, que se passe-t-il ensuite ?
Certes le mien de rêve ne s’est pas tout à fait accompli, puisque je roule toujours au lieu de marcher. Mais aujourd’hui ça me va. Aujourd’hui là tout de suite maintenant, je me sens dans une situation que je maîtrise, que je connais, et qu’elle soit idéale ou non n’est pas important. Alors de quoi remplir le vide auquel la colère, le combat, le sentiment d’injustice, le besoin de faire ses preuves et d’aller toujours plus loin ont laissé place en disparaissant ? Ou que choisir dans ces millions d’idées qui fourmillent ?
Quand le GPS demande un demi-tour
On parle souvent des intersections de nos vies, lorsque l’on se retrouve face à plusieurs chemins et qu’il faut en emprunter un plutôt que l’autre. Seulement pour faire un choix encore faut-il les visualiser ces chemins : nous créons nos propres alternatives, nos propres directions.
En discutant de ce terrible « Que faire ? » avec quelqu’un l’autre jour, il a fini par me demander en espérant m’aider, ce qui me stimulait avant que je ne fasse tourner mon monde autour du handicap. Je me suis retrouvée un peu désarçonnée. Déjà parce que ça me fait remonter à avant mon accident. Ensuite parce que malgré tout ce que j’ai réussi à accomplir malgré mon handicap, ce qui me faisait vibrer avant ne pourrait avoir les mêmes effets sur moi dans la situation actuelle.
« Avant le fauteuil, je passais des heures à m’occuper d’animaux en refuge et j’adorais partir à l’aventure dans des lieux inhabités et/ou abandonnés (avec mon chien évidemment). Ces deux intérêts, vifs, me comblaient. Ils remplissaient mon besoin d’être utile, celui de m’émerveiller, et me permettaient au final d’être plus souvent dehors que dedans. »
Et c’est un peu une conséquence que je n’avais jamais mesurée auparavant, un élément du « package » dont je n’avais pas vraiment conscience. Reconstruire sa vie, adapter ses envies et ses rêves, ça d’accord. Mais se « reprogrammer », dévier sa nature même ? Parce que ma nature était là, dans cette réponse que j’ai donnée et qui m’a montré à quel point le handicap m’avait obligé à me gommer pour me dessiner autrement. Et l’autrement est heureux, entendons-nous bien, mais il ne m’apporte pas assez à ce jour pour me permettre de visualiser différents chemins (professionnels donc) parmi lesquels je serai prête à choisir et que j’aurais joie à emprunter.
Un lait chaud avec du miel, ça ira mieux après.
Et ça n’est pas grave, le déclic viendra certainement. En attendant je me retrouve avec un micro-deuil – encore un – à laisser passer. Les rêves d’hier ne seront pas ceux de demain. Le handicap n’en finira jamais de me surprendre, tant pour ses mauvais travers comme celui-ci, que dans les points positifs heureusement (qui sont plus nombreux qu’on ne peut le soupçonner).
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