Depuis que j’ai pris du recul par rapport au monde du handicap, que je me suis éloignée des réseaux sociaux et que j’ai cessé de faire tourner ma vie autour du blog, je me rends compte qu’il existe en beaucoup d’entre nous (handi) une incohérence non négligeable. Une incohérence que l’on pourrait même préciser être une contradiction et qu’il me semblait important d’aborder aujourd’hui avec vous.
Dans bon nombre de discours, d’interviews ou ne serait-ce que lors de discussions banales, les personnes en situation de handicap diront toujours qu’elles veulent être regardées au-delà du-dit handicap. Qu’elles ne se résument à leur fauteuil, leur membre amputé ou leur canne. Elles ne veulent pas Être leur handicap. Et quand je dis « elles », ça a en réalité longtemps été mon combat : à travers mes conférences, à travers mon blog, celui de Sojadis et les nombreux évènements auxquels je participais.
Je ne voulais pas que l’on me réduise à mon fauteuil
Sauf que…
Sauf que la vie professionnelle que je m’étais construite tournait autour de ce dernier, dépendait même de lui d‘ailleurs. Parce que sans handicap, que pourrais-je écrire pour alimenter un blog traitant de ce sujet, on se le demande ! Paradoxalement je me devais de mettre Albert en avant pour combattre le fait que les gens ne puissent voir que lui en moi. Je me suis bâtit une vie qui ne tournait qu’autour de ça, alors forcément quand on me questionnait sur moi, sur ce que je faisais, ce que j’étais, je n’avais à raconter que des choses en lien direct avec mon fauteuil. En faisant tout pour que ça ne soit pas le cas, j’avais inconsciemment plongé la tête la première dedans : le handicap était ce qui me définissait le mieux, et si ce n’est le mieux au moins le plus.
Parce que lorsque l’on décrit quelqu’un comment ça se passe ?
On parle d’abord des caractéristiques physiques non ? Il est grand, petit, noir, brun, blond, avec des lunettes, ect… Si l’on arrive à éviter le « tu sais, le gars dans un fauteuil ? » (alors qu’en réalité, c’est tellement parlant que c’est souvent le point le plus efficace à donner, mais bref passons), vient ensuite l’activité professionnelle. Il est paysagiste, ingénieur, restaurateur de peinture, éleveur de lapins, pâtissier ou horloger. C’est bien beau de dire « rédactrice web » me concernant, mais jamais ce ne sera dit sans que soit attendue la précision derrière : rédactrice web… spécialisée dans le handicap. Et voilà. Bon l’avantage c’est que personne ne m’a jamais demandé de prouver ma légitimité à écrire sur le sujet. Mais soyons honnêtes deux minutes, comment pourrais-je demander aux gens de passer outre mon handicap alors que moi-même je l’ai installé au premier rang, juste sous vos yeux, avec toutes les lumières de la scène braquées sur lui ?
Grâce au Covid et aux confinements qu’il nous a imposé (oui, j’utilise bien l’expression « grâce à »), j’ai eu l’occasion de passer plus de temps avec moi. Celle que je souhaitais que le monde prenne en considération sans que moi-même j’ai conscience de qui elle est, vous voyez ? J’ai découvert le concept de développement personnel et les quelques outils dont j’ai appris à me servir m’ont aidée à retrouver mes priorités, mettre le doigt sur mes véritables envies.
Je refuse d’être résumée à un fauteuil
Réponse de moi à moi :
Par conséquence, cesse déjà toi, de ne te résumer qu’à ça. Tu as d’autres compétences et d’autres connaissances qui ne sont pas forcément en rapport avec cette épreuve de vie que tu as vécue et qu’aujourd’hui tu as intégrée de façon saine à ton quotidien. Tu as effectivement d’autres choses à vivre, à construire, à créer et à apporter, que ta pierre à cet édifice gigantesque qu’est la sensibilisation au handicap. Peut-être qu’après ces huit années passées à défendre une cause qui t’était chère, tu as atteint ce moment où d’autres prendront la relève, où la cause à laquelle tu souhaites te consacrer aujourd’hui est simplement la tienne et non celle des autres.
J’ai levé le pied – ou la roue – sur l’écriture tournée vers le handicap. J’ai trouvé un travail qui mette en avant mes compétences autres : le community management, l’animation, la sociabilité, l’écriture de façon plus générale, et la lecture. Ma vie personnelle n’est plus intimement liée à mon activité professionnelle. Elle est désormais partagée avec une personne qui me permet de faire des projets, projets qui me font parfois oublier que mon fauteuil est une problématique plus compliquée que n’importe quelle autre problématique. Je continue à rédiger des articles qui parlent de handicap bien sûr, preuve en est de celui-ci, mais ça n’est plus mon activité principale.
Désormais j’ai l’impression d’être davantage la nana qui travaille, fait, vit… et se déplace en fauteuil. Plutôt que la nana qui est en fauteuil et qui travaille, fait et vit… en fonction de ça.