La femme avant le fauteuil
Je suis allée voir le film « Women » au cinéma et j’ai pris conscience d’une chose importante, essentielle même. Avant même d’être une personne en fauteuil, je suis avant tout une femme. Et déjà, la donne n’est pas la même partout. Aussi fortes puissions-nous nous montrer, nous avons des siècles, des millénaires d’habitudes ancrées à travers lesquelles l’homme était à une place plus avantageuse que la nôtre. De même que physiquement, le désavantage est là également : souvent plus petite, plus faible, la puissance féminine ne réside pas dans ses muscles.
Je ne considère pas cela comme une inégalité au sens négatif du terme mais plutôt comme une différence de conception car à l’aube des temps, chacun avait son rôle et il était normal que les mâles préposés à la chasse, n’aient pas le même gabarit que les femelles en charge de la progéniture. Je simplifie mais vous voyez l’idée. Il en va de même pour les autres espèces animales. Les physiques et les capacités sont en lien direct avec le mode de vie naturel.
L’inégalité, ce n’est pas ce que l’on est à l’origine. L’inégalité c’est plutôt ce que l’humain a fait de ces différences au fil du temps. L’homme a oublié pourquoi il était plus massif que la femme, fondamentalement, et il s’est mis en position de dominance dans la plupart des situations parce que c’était « facile ».
Cette exigeante société
Ainsi à l’heure actuelle et malgré le caractère moderne que l’on donne à notre époque, il existe des femmes qui chaque jour, craignent pour leur vie simplement en se promenant dans la rue. Simplement en allant au travail. Simplement en s’habillant come elles en ont envie. Pourtant nous essayons de nous battre, nous voulons redorer notre blason, prouver que l’on est aptes. Et parce que nous revendiquons d’être regardées comme nous sommes capables d’être, la société se met à tout exiger de nous.
Avant il fallait être une fille aimante puis une épouse dévouée et une bonne mère. Aujourd’hui il faut également que nous soyons efficaces au travail, drôles mais séduisantes, bonnes au pieu mais respectables, soignées sans être strictes, canons mais pas faciles. Pas trop difficiles pour autant attention, minces sans être anorexique, charmer avec nos formes sans graisse ni vergetures. Faire du sport sans transpirer, avoir nos règles sans saigner, manger sans se tâcher, et puis tout ça et puis tout ça.
Maintenant soyons honnêtes et franc jeu : aux hommes également on leur en demande beaucoup. Mais vous me pardonnez si je me focalise aujourd’hui sur mon sujet ? Car je ne suis pas féministe à proprement parler. L’égalité me tient à cœur, mais entre l’homme et la femme autant qu’entre personnes de différents pays, de différentes cultures, de différents physiques, bref : l’égalité au sens large du terme. Ainsi je ne suis pas choquée par les femmes battues par leurs maris, je suis choquée par quiconque se fait taper dessus par la personne qui partage son foyer. Je suis autant dégoûtée par les hommes qui font preuve de misogynie que par les femmes qui transforment l’homme en objet.
Apprivoiser son image pour oser se considérer
Bref, revenons-en à nos moutons, nos humains, nos femmes. Je suis une femme donc. La pression sociale a fait que j’ai mis longtemps à m’attribuer ce mot comme étant mien et je dois ajouter à cela le fait d’être en fauteuil. Soit plus faible encore il faut le dire (face à quelqu’un qui souhaiterait me faire du mal physiquement, lui rouler dessus ne ferait pas grand effet.) Et puis côté critères de beauté le score n’est pas bien élevé non plus. Bonjour confiance en soi, potentiel de séduction et épanouissement personnel tant sentimental que sexuel. Pas facile d’apprivoiser son nouveau corps quand on passe l’adolescence, imaginez de recommencer une fois adulte !
C’est long d’apprendre à s’aimer telle que l’on est. Encore plus long lorsqu’on sort de la norme. Et une fois que l’on arrive à se dire « Ok, je suis quand même pas si mal », la route est loin d’être terminée puisque vient le terrible regard de l’autre. De l’autre inconnu d’abord. Puis de l’autre à qui l’on tient. Et enfin de l’autre à qui l’on voudrait plaire.
A la fin de ma conférence, une jeune fille, en fauteuil depuis un peu plus d’un an à peine, m’a demandée inquiète comment est-ce qu’après un accident, avec le handicap, on pouvait construire une vie personnelle, de couple. Et toutes les femmes se posent cette question en réalité au début : comment est-ce qu’un homme pourrait vouloir de quelqu’un dans cette situation-là ?
La relation aux autres passe par soi-même
Je ne suis pas un modèle. J’ai eu des histoires. Sérieuses ou non. Et voilà ce que j’en ai appris : on choisit la personne avec laquelle on couche sur des critères physiques. Mais celle avec qui faire sa vie, ou ne serait-ce qu’un bout de chemin, va au-delà. Je ne suis pas seulement mon handicap. Personne ne se résume en une phrase. Chaque être vivant est fait de millions de paramètres et c’est ce qui fait la richesse de notre monde. Le fauteuil en est un qui en entraîne un certain nombre à sa suite, certes, mais quel en est le pourcentage par rapport à tous les autres ? Les traits de caractère, le passé, les manies, les qualités et les défauts, les passions, les dégoûts, les relations, les blessures, les charmes et tant et tant.
Cette jeune femme m’a touchée, car j’ai vu en elle ce que j’étais il y a six ans, même après. A se penser si injustement incapable d’être féminine, désirable ou digne d’être aimée simplement parce qu’elle roule plutôt que de marcher. Mais la vie est tellement plus surprenante que cela !
Rétroliens/Pings