Je suis en fauteuil depuis que j’ai vingt ans. Et depuis mes vingt ans j’ai vécu tout un tas de situations, des bonnes comme des mauvaises : est-ce malgré ou parce que nous sommes des êtres humains, mais il y a eu des moments où j’ai sentie être considérée comme moins que ça. C’est maladroit, c’est insidieux, parfois très discret, mais c’est là. Petite liste non-exhaustive de ces moments gênants.
Des situations
Il y a eu bien des fois où je me suis retrouvée dans des lieux censés être publics, devant ou à l’intérieur desquels j’ai dû faire demi-tour à cause de marches infranchissables, de monte-charges en panne ou d’ascenseurs en maintenance. Devoir renoncer à aller à un endroit auquel tous les autres ont accès, et ne s’en rendre compte qu’une fois sur place, c’est pire que de le savoir en avance. Parce qu’on se retrouve sur le fait, pris de court, et disons-le : on se sent bête.
C’est comme si la société toute entière avec ses bâtiments inadaptés nous rejetait parce que nous ne sommes pas assez nombreux pour que des efforts soient fait. Nous ne sommes pas assez « importants » pour que les choses changent. Et j’ai beau assumer mon handicap, être okay avec le fait d’être en fauteuil, j’ai tout de même le cœur qui se serre quand en plein milieu d’une journée entre copains, en famille ou en amoureux, je me vois obligée de me mettre en retrait parce qu’il y a une activité à laquelle je ne peux participer (certaines attractions dans un parc par exemple, ou une épreuve en plein milieu d’un escape game, un passage spécifique durant une chasse au trésor, etc.)
Des gens
Concernant mon rapport aux valides, je crois que ce qui touche le plus mon ego (et je sais que cette impression est partagée par beaucoup d’autres handi) c’est quand quelqu’un « décide » à ma place. Quand il décide de ce que je peux faire ou non, d’où je peux aller ou non, ou qu’il m’impose la vision qu’il a de moi. Entre ceux qui nous parlent comme si nous avions dix ans, ceux qui n’osent pas nous regarder, ceux qui partent du principe qu’on n’a pas de vie, et ceux qui nous « aident » sans nous demander notre avis, je me dis qu’un jour, je finirai par devenir vraiment associable.
Parce que nous restons des personnes à part entière, et que si notre handicap n’est que moteur alors c’est bien que nous avons toute notre tête à l’instar de ceux qui se qualifient de « normaux ». Pour ma part, je supporte de moins en moins l’infantilisation ou la dévalorisation lorsque je sais qu’elle n’est liée qu’à mon handicap. Peut-être le fait d’avoir plus de trente ans maintenant m’amène à moins laisser le bénéfice du doute à des interlocuteurs maladroits. Je ne suis plus cette « jeune adulte » qui vient de vivre quelque chose de grave. Je me suis construite une vie riche d’expériences, de voyages, de travail et de contacts humains et n’en déplaise à certains, je me sens heureuse. Ainsi je trouve déplacé et un peu vexant que quiconque ait de la pitié envers moi, voilà. C’est dit.
Des objets
Bon là, c’est un paragraphe un peu spécial mais oui, il y a des objets inhérents à la vie d’handi qui sont un peu humiliants bien que ce ne soit pas très grave au final. Celui auquel je pense en premier est le lève-personne… Sachez qu’il est difficile de se peser lorsque l’on est handi, et le moyen de le faire qui donne le résultat le plus précis reste d’utiliser ce que l’on appelle le lève-personne. Rien que le nom est suffisamment imagé, comme les monte-charges d’ailleurs, pour comprendre où je veux en venir. Que j’ai eu l’air ridicule dans ce machin-là vraiment ! Mais ça n’en est qu’un parmi d’autres en réalité, car une source d’humiliation régulière que l’on oublie c’est le fauteuil bien sûr ! Pour toutes ces fois où il nous lâche parce qu’un pneu crève, qu’une roue se bloque ou qu’une partie se casse, nous laissant là, bloqué au milieu de nulle part. Pareil pour la voiture, les planches de transfert, et les adaptations en tout genre : tant que ça va je peux me targuer d’être indépendante. Mais quand ça ne fonctionne pas…
De l’espoir
Cela dit parmi toutes ces petites humiliations, il y a aussi des moments de solidarité et de soutien de la part de mon entourage ou bien d’inconnus, qui me rappellent que je ne suis pas seule dans cette drôle de vie, et que ces émotions inconfortables ne sont souvent que de courte durée. S’il est important d’aborder toutes les difficultés cachées qu’apporte le handicap, il l’est tout autant de souligner le fait que ça ne tient pas une place prépondérante dans mon existence fort heureusement !