Lorsqu’on a un handicap, qu’il soit visible ou non, la question du regard des gens se pose tout le temps. Est-il là ? Est-il dur ? Quel est-il ? Comment le ressent-on ?
Handicap invisible
Je sais ce que vous allez dire… « Bah s’il ne se voit pas, il ne peut pas être mal regardé ! » Pas faux. Mais pas tout à fait juste non plus. Car les handicaps invisibles se manifestent souvent par leurs conséquences qui semblent être des détails : une démarche un peu gauche, une fatigue rapide, des absences répétées au boulot, des invitations ou des soirées déclinées, une place assise dans le bus gardée alors qu’une dame âgée vient d’y rentrer, un stationnement réservé aux handi utilisé alors que tout semble bien aller. À croire qu’une personne qui marche est forcément une personne qui va bien. Celle porteuse d’un handicap invisible subit le jugement de ceux qui ne savent et ne peuvent pas savoir. Il est difficile de vivre avec ça continuellement car ça ne fait qu’ajouter à la douleur, au mal-être ou aux limites qu’il y a déjà à supporter. D’autant plus que ce n’est bien souvent pas de la pitié ou de l’incompréhension naïve qui se dégage des gens, mais une réelle animosité. « Tiens encore un qui va dans la file prioritaire alors qu’il n’en a pas besoin ! », « Toujours malade, tu parles : c’est dans la tête oui ! Une vraie feignante ! »
Expliquer (si le courage en dit), faire face aux doutes d’accusateurs qui ne nous connaissent pas et se trouver obligé de justifier une situation déjà bien trop pénible, sont de véritables fardeaux pour un handicap qui ne se voit pas au premier abord.
Handicap visible
Mais qu’en est-il de celui qui ne peut être dissimulé ? Un fauteuil par exemple, ou une canne, des béquilles, une prothèse ? Je ne dirais pas que c’est mieux, plutôt que c’est une autre histoire. Car les regards auxquels on a droit sont souvent de pitié. Or est-ce vraiment l’image que nous voulons véhiculer ? Non bien sûr (pas moi en tout cas !). Il y a des jours où j’aimerais aller faire mes courses ou juste me balader en passant inaperçue. Mais quoi qu’il arrive, quelle que soit mon attitude, il y aura toujours une réaction. Un regard fuyant, interrogateur ou attristé. Faire mon petit bonhomme de chemin sans qu’une seule personne au moment de me croiser ne s’écarte comme si je faisais 2m de large ? Peu probable.
Peu probable également de ne pas entendre un parent crier « attention ! » à leur gamin distrait comme si j’allais les écraser sans ménagement s’il reste dans ma trajectoire. Peu probable encore de ne pas voir sur le visage d’une mamie qu’elle se demande en me voyant ce qui a bien pu arriver « à cette pauvre jeune fille pour qu’elle en soit là. » Et je crois ne jamais avoir pu faire mes achats alimentaires de la quinzaine sans qu’on ne me demande, alors même que je n’en ai pas l’air, si je n’aurais pas par hasard besoin d’aide. (Je sais, je sais, ça part d’une bonne intention et lorsqu’en effet j’ai besoin d’un coup de main, ça fait plaisir de l’avoir. Mais quand ça fait cinq fois qu’on me pose la question en dix minutes de temps, alors que je venais juste chercher trois bricoles pour cuisiner des cookies, ça devient un tantinet pénible tout de même…)
Seulement parfois…
Seulement parfois je me demande si c’est vraiment mon handicap qu’ils regardent. La plupart oui, c’est certain. Mais qui me dit que celui-là ne me fixe pas parce qu’il trouve la couleur de mon fauteuil affreuse ? Que celle-ci ne me regarde pas parce qu’elle lit et aime le message sur mon t-shirt ? Que lui n’a pas l’œil qui s’attarde un peu parce qu’il me trouve jolie ? Quand mes amis, qui ont l’habitude avec moi, sont seuls dans la rue, ils voient un handi comme la personne qu’il est et non par le fait qu’il soit en fauteuil… parce que ça fait partie de leur paysage à eux (je fais une plante verte très sympa, je ne vous l’avais pas dit ?). Or l’handi en face ne le saura pas, alors il croira qu’on l’observe encore comme la bête curieuse qu’il a tendance à croire qu’il est.
Alors oui, avoir un handicap c’est subir beaucoup de regards, parfois difficiles à surmonter. Mais avoir un handicap nous rend aussi parfois un chouïa parano. Ce qui fait défaut dans notre corps, notre santé, est la proie de nombreux jugements extérieurs (déplacés pour la plupart) c’est vrai, mais aussi émanant de nous-même par moments. À nous de faire le tri et de se laisser voir comme on aimerait être vu. Quant à ceux qui laissent de côté sagesse, prudence et respect dans leur vision des choses et bien, est-ce vraiment la peine de s’y attarder ? Car finalement les seuls regards qui comptent à mon sens sont ceux de nos proches, et c’est celui que l’on porte sur soi.