Être handi, c’est voir un nombre bien trop important de portes se fermer. C’est un sentiment personnel de ne pas ou ne plus être dans la capacité de faire certaines choses. Qui nous plaisaient voire qui nous passionnaient. Et qui nous faisaient rêver. Est-ce qu’on s’y habitue ? Est-ce qu’on s’y résoud ? Jamais tout à fait. Au lieu de ça, moi je triche.
Un de perdu, dix de retrouvés
Gamine puis ado, j’ai fait pas mal de sports. Mais ces sports-là, même s’ils existent en version adaptée pour les handi, je n’ai jamais voulu les réessayer depuis que je suis en fauteuil. Je ne voulais pas me retrouver face à une comparaison avant/aujourd’hui qui, je le sais, me blesserait. Quant aux loisirs ma foi, beaucoup de ceux que j’affectionnais ne me seraient aujourd’hui plus possibles. Pas comme je le voudrais du moins. Pas comme je les connaissais. Alors pour détourner mon coeur de ce que j’ai aimé, j’ai lancé un défi à mon cerveau : tester tout le reste. Ne pas se mettre de barrières. Bien sûr, c’est valable pour tout ce qui a été pensé accessible. J’ai beau avoir le sens du challenge, même avec tous les efforts et toute la volonté du monde, je ne pourrai jamais enfourcher la vieille bicyclette de Papi pour aller cueillir la bruyère dans les forêts de Sologne tant que mon corps restera dans son état actuel. Non. Par contre je pourrai sauter en parachute, je pourrai aller faire de longues balades au bord des lacs sur les pistes cyclables, je pourrai faire un tour de France gastronomique et goûter toutes les spécialités de chaque région. Pourquoi pas ?
Lorsque j’ai pris cette décision, la première idée qui m’est venue a été de me laisser tenter par le parapente. Un mois après la naissance de ce projet j’y étais et volais avec une facilité déconcertante. Je croyais accomplir une folie, je croyais me dépasser. Mais quand on se rend compte que le fauteuil comme n’importe quel autre preuve d’un handicap n’est pas le frein que l’on s’imaginait, quand on se rend compte qu’avant d’avoir épuisé toutes les possibilités de s’éclater malgré nos manques ou troubles, on aura le temps de vivre une ou deux vies de plus, et bien la soif se fait sentir.
À la recherche d’un toujours plus
Insatiable, la soif de plus. Plus loin, plus grand, plus fou. Pas tester ses limites. Juste… Croire que c’est possible. Parfois différemment c’est évident mais pas avec moins de sensations et de souvenirs que ces expériences nous laisseraient si on le faisait « normalement ».
Bien sûr ça n’est pas toujours facile car c’est en permanence sortir de sa bulle de confort. Certains en sont incapables. Les loisirs, les sports… C’est sortir de chez soi, c’est la plupart du temps voir des gens, c’est mettre sa différence sur la table et avant d’être exaltant, c’est aussi contraignant.
Après le parapente, ce fut au tour de l’aviron, du basket, du kayak, du vol en soufflerie… Mais surtout, les voyages. New-York, Canada, Espagne, Autriche, Belgique et bientôt Brésil, Japon…
Tout est plus ardu en fauteuil, en béquilles, avec des douleurs ou un souffle au coeur. Mais n’est-ce pas de ce fait encore plus jouissif d’en arriver au bout ? De se dire « je l’ai fait » ? Cette douce vengeance envers notre corps, envers la vie, envers ces gens qui nous regardent avec pitié, persuadés que l’on ne peut rien faire de nos journées.
Bien sûr qu’il y a des cas de handicap lourd, des situations particulièrement graves qui interdisent tout effort ou qui empêchent tout débordement du quotidien. Mais ne voyez-vous pas tous ces autres ? Ces handi’actifs qui se battent, qui roulent, qui se dépensent ?
Bien sûr que si vous les voyez. Là un nain acteur, là un aveugle chanteur, là un champion para-olympique, là une-tétra peintre… Vous les connaissez mais vous ne les remarquez plus. Parce que vous les considérez comme un acteur, un chanteur, un sportif de haut niveau, une artiste. Plus comme des handis.
Et c’est ça aussi que sont pour nous le sport et les loisirs : une façon de se mettre au défi, de s’accomplir et de prouver, à soi comme aux autres, que l’on est capables. Évidemment, toute activité adaptée l’a été faite avec le concours de valides, c’est vrai (et nous ne sommes pas racistes), mais justement. Ça n’est pas le résultat d’un travail de valide pour un handi mais d’un valide avec un handi. N’est-ce pas bien mieux ainsi ?
Bref, ainsi donc et pour ceux qui en douteraient encore, ce n’est pas parce qu’on n’a pas un corps qui fonctionne tout bien comme vous qu’on ne peut pas s’éclater, se dépenser ni même faire des choses un peu folles ! Regardez, certains handi sont plus médaillés que vous 😉