Je me suis retrouvée en fauteuil alors que j’avais vécu une vie sur mes deux jambes, tout à fait enviable. Or, quand on passe de valide à handi, on s’imagine au début qu’on ne pourra plus rien faire du tout, que le fauteuil est une ancre qui nous maintient au port ad vitam aeternam. Puis on apprend à vivre avec notre nouveau corps, on s’adapte pour que finalement le « je ne pourrai plus rien faire » devienne un « je ferai différemment ».
Et c’est le cas aujourd’hui. Je fais un million de choses que je n’aurais pas crues possibles sur mes roues et j’arrive à m’épanouir malgré ma situation. Non seulement j’ai pu me développer dans l’une de mes passions, à savoir le voyage, mais en plus j’ai réussi à en faire une partie de mon travail. Que demander de mieux ? Alors d’accord, je ne voyage pas tout à fait comme je le rêvais auparavant, je ne vais pas dans les pays qui me faisaient envie hier mais je vais dans des pays qui me font envie aujourd’hui. Je ne vais pas explorer les montagnes avec mon sac à dos et mes chaussures de rando et je ne vais pas non plus traverser la Mongolie à cheval. Mais j’ai fait tous les coins connus de New York et bientôt j’irai tester les soirées kawaï dans les quartiers japonais. Est-ce que j’ai revu mes projets à la baisse ? Pas du tout. J’ai tout effacé, repris une page blanche et ai fait ma « to do list » de voyages avec des critères autres, c’est tout. L’année dernière je vous aurais dit que l’un de mes regrets était de ne pas pouvoir décider de partir à l’autre bout du monde du jour au lendemain parce qu’en fauteuil c’est quand même un peu d’organisation. C’est du matériel, des recherches au préalable et un hôtel plutôt qu’une tente de camping. Mais finalement, après être allée aux États-Unis, en Espagne, au Canada, en Autriche et en Belgique, je dirais que j’ai fait mes armes et que si je voulais, malgré toutes les petites contraintes dues à mon handicap, je pourrais prendre l’avion sur un coup de tête.
À mes débuts, le tâtonnement…
Il faut dire aussi que je ne me suis pas facilitée la tâche au départ : premier voyage en fauteuil, changement de continent direction les États-Unis ! Refaire faire les papiers, le passeport, demander une entrée sur le territoire, se procurer les ordonnances en double de tout médicament ou matériel médical à emporter, et puis… réfléchir à tout !
Appeler l’aéroport pour prévenir que l’on est en fauteuil, qu’ils planifient une aide et mettent à disposition une chaise spécifique pour passer dans les couloirs de l’appareil, prévoir assez de ce dont on a besoin au quotidien, mais avec du rab parce qu’on ne sait jamais (et j’en ai fait les frais)… Bref, pour être honnête, on ne peut pas faire les choses parfaitement dès la première fois. Et encore, moi ça va, je ne suis pas des plus contraignantes à faire déplacer : j’aurais très bien pu décider d’emmener mon fauteuil électrique en plus de mon fauteuil manuel et ça aurait encore été de quoi s’occuper (et stresser de peur qu’il soit abimé durant le trajet).
Cela dit, si je suis partie tout de suite très loin, je ne l’ai cependant ni fait seule ni en direction d’un pays sans un minimum d’accessibilité. J’ai embarqué dans mon périple l’une de mes amies proches et nous en avons passé des heures à écumer les blogs et sites internet à la recherche d’infos qui nous (me) faciliteraient la tâche. Je n’avais pas pensé au fait que les Américains ont inclus les handi dans leur société depuis un certain temps déjà et qu’ainsi, je n’avais pas tellement à m’en faire. Et oui ! L’avantage d’avoir l’âme patriotique comme eux, c’est qu’ils ont un grand respect pour leurs vétérans de guerre. Or, quand on revient des combats, il n’est pas rare d’avoir perdu un membre voire deux ou trois sur le champ de bataille.
Palier aux éventualités !
Ainsi donc ma première destination fut un succès même pour une infirme comme moi. À partir de ce moment-là, je ne comptais plus m’arrêter. Bien sûr, je reste prudente et me cantonne pour le moment à des objectifs sûrs. Partir dans des pays modernes, où d’autres ont foulé le sol de leurs roues avant moi, ne me rend pas si aventurière que ça : courageuse mais pas téméraire la bestiole.
Parce qu’il ne faut pas croire, même en réfléchissant à tout, personne n’est à l’abri d’un contretemps. Les valides, pas plus que les handi. Sauf que nous, un problème technique de fauteuil, de matériel, de logement ou de terrain et l’on se retrouve vite bloqués à regretter d’avoir quitté son petit nid douillet.
Imaginez : une roue de fauteuil cassée dans la soute et c’est un retour à la maison obligé. Une boîte de médicaments bien spécifiques perdue pendant le trajet et les vacances se retrouvent aussitôt raccourcies. Un hôtel qui promettait une chambre adaptée qui ne l’est finalement qu’à moitié (ça m’est déjà arrivé) et ce sont des galères entre coups de téléphone, réservations, argent en plus à sortir… si tant est que ça suffise ! Et oui, les solutions de secours type dormir à la belle étoile ou squatter sous un pont, ça n’est pas vraiment jouable quand on est en situation de handicap !
Alors oui, fauteuil et voyage ne sont pas incompatibles, au contraire il ne faut pas s’en priver, mais ça ne veut pas dire que ça se fait toujours exactement comme c’était prévu (c’est le cas pour tout le monde). Il faut être débrouillard et… être un pro des plans B et C (juste au cas où) !