Cette année pour Noël, le Barbu et moi avons décidé d’accueillir nos deux familles à la maison. J’ai donc eu droit à ma grande table bien remplie avec un pied de sapin plein de cadeaux, j’étais aux anges. Cela dit, il y a une chose qui m’a chiffonnée, et pas qu’un peu : je me suis trouvée être une hôte désastreuse.
Il faut dire aussi que dès le début, le projet part avec un certain déséquilibre : d’un côté la volonté de calquer mon modèle en la personne de ma mère, qui a le chic pour rassembler en mettant les petits plats dans les grands tout en étant capable de tout gérer, de l’organisation à la cuisine en passant par la déco et les cadeaux. De l’autre, ma situation en fauteuil qui rend chaque action un peu plus lente ou du moins différente que faite par une personne sans handicap moteur. J’ai appris cette fois-ci que ces deux aspects du projet n’étaient pas compatibles.
Plusieurs raisons à cela, à commencer par…
Mon handicap
Vous le savez, je l’explique depuis des années, je suis apte à vivre au quotidien en toute autonomie malgré mon fauteuil, ce qui implique que je puisse faire la cuisine, le ménage, la vaisselle, la table, la lessive, le service i tutti quanti. Sauf que. Si je suis capable de ces performances, c’est parce que j’ai appris à adapter mes gestes et mes déplacements. Je fais à mon rythme, avec ma propre organisation ainsi qu’avec mes propres repères : c’est très bien lorsque je suis seule, mais dès que quelqu’un s’en mêle, ça devient tout suite plus compliqué.
Le temps
En même temps c’est normal, chaque individu fait comme la majorité (dont je ne fais clairement pas partie) : pour débarrasser la table, on emporte les assiettes et les couverts, on met tout ça dans le lave-vaisselle et c’est terminé. C’est quoi ? Trois ou quatre gestes ? Se lever, récupérer ce qu’il y a de sale, l’emmener dans la cuisine et le mettre là où il faut pour que ce soit nettoyé. Mais si c’est moi qui fait ça, déjà il faudra que j’aille chercher le plateau qui me permet d’empiler des choses sur les genoux de façon stable. Ensuite mes mains étant elles aussi touchées par le handicap, je vais mettre plus de temps à prendre chaque plat et je serai parfois un peu maladroite. J’irai jusqu’à la cuisine, je bloquerai tout la partie droite du lave-vaisselle pour y ranger ce qu’il y a à y ranger, condamnant ainsi l’accès au réfrigérateur pendant cinq à dix minutes. Donc oui, comme a voulu gentiment m’expliquer le Barbu, lorsqu’il y a des mets en cuisson et du monde à servir, il faut aller vite pour que le repas se passe de façon la plus fluide possible. Donc voilà. Je suis un ralentissement, un dos d’âne, une chicane sur la route des cuisines.
C’est un peu dur à admettre, mais je comprends. Me voici condamnée à rester à table comme une invitée dans sa propre maison, comptant sur l’efficacité de Monsieur et cachant sa honte de ne pouvoir l’aider vraiment. En même temps, même ce que je pourrais faire qui ne le gênerait pas, qui me donnerait l’impression d’être un peu utile et de tenir un minimum mon rôle d’hôte, serait entravé par un autre élément non négligeable…
Les invités
Je ne sais pas vous mais chez nous, on a tendance à vouloir donner un coup de main, où que l’on soit, surtout dans la famille. On va chercher le chapon de Mamie dans le four, on aide l’oncle à mettre la petite pointe de sel sur les coquilles Saint Jacques ou on fait chauffer les assiettes vides pour qu’elles conservent plus longtemps la température de la nourriture une fois servie. Ce soir-là je me suis rendue compte que ma belle-mère était aussi comme ça. Ainsi quand j’essayais de faire quelque chose, j’avais toujours une personne pour, voulant m’aider, me couper l’herbe sous la roue. Quand eux pensaient me rendre service en m’évitant la moindre corvée, moi je désespérais de ne pas être à la hauteur de mes propres attentes.
Je sais qu’aucun ne m’a jugée de « ne rien faire », aucun n’a même dû s’apercevoir que si j’étais à l’initiative de beaucoup de choses, il n’en était pas de même pour l’exécutif. Mais moi je le sais, moi je l’ai senti : je me suis trouvée dépassée à être spectatrice d’une scène dont j’étais pourtant censée être la réalisatrice et la metteuse en scène. Alors je sais hein, pour certains ça paraît cool de simplement avoir à mettre les pieds sous la table et de se faire servir. Mais moi je préfère être actrice de mon quotidien… et choisir moi-même les jours où j’aurai un poil dans la main !