« La charge mentale ». C’est un concept dont nous entendons beaucoup parler ces dernières années. La tendance qu’ont les femmes à être dans la gestion et dans la prévision de la vie tant quotidienne que professionnelle. Tandis que les hommes sont pour beaucoup ancrés dans le présent, purement et simplement. Et forcément, ça créé des distorsions, des inégalités de tous les jours. Quand l’homme fait la vaisselle au moment où il n’a plus le choix, la femme la fait en amont de ce moment parce qu’elle prévoit la notion d’accumulation de tâches par exemple.
Bien sûr, nous parlons de généralités, de tendances, et la charge mentale n’est pas inhérent au couple. Se charger mentalement c’est s’obliger à penser à tout ce dont il y a à penser pour éviter qu’à un moment ce soit trop difficile, pour éviter qu’à un moment, il y ait un échec, une possibilité de jugement venant des autres ou même de soi.
Justement en ce qui me concerne, la mienne est allégée au sujet des tâches ménagères car Marcel s’en occupe autant que moi. Et heureusement. Parce que le handicap entraîne une charge mentale que l’on oublie très souvent, celle que j’appelle « La charge mentale médicale. »
Deux parts distinctes : d’un côté la gestion quotidienne des soins liés à mon handicap, de l’autre la gestion ponctuelle des bobos plus ou moins graves, liés ou non à ce même handicap. Je vous explique…
Le médical quotidien
Je vais raconter mes propres charges, parce que ça vous donnera une idée de ce dont je souhaite vous parler aujourd’hui, mais sachez que mon cas en est un parmi tant d’autres. Il y a autant de quotidiens que d’êtres humains, ça vaut aussi pour ceux qui vivent avec un handicap.
Donc, en ce qui me concerne, chaque jour je me sonde pour vider ma vessie, je prends un médicament pour que mes muscles soient moins spastiques et euh ben… je me déplace avec un fauteuil quoi ! Qu’est-ce que ça entraîne ? Et bien, ça entraîne d’être en vigilance constante par rapport au nombre de sondes qu’il me reste, par rapport aux ordonnances également pour qu’elles soient à jour, triées, classées au fur et à mesure, par rapport aux boîtes de médocs aussi afin de ne jamais être à court… Et le fauteuil, le fauteuil, je vous en parle déjà tout le temps :
Est-ce que là où je vais il y a des toilettes adaptées dans lesquelles je rentre ?
Est-ce que les batteries de mes roues à propulsions sont assez rechargées pour faire tout ce que j’ai prévu de faire si je ne suis pas chez moi ? Est-ce que mes pneus sont assez gonflés pour que les freins fassent bien leur travail et que le fauteuil ne glisse pas quand j’effectue un transfert ? Et en réalité il y aurait des dizaines et des dizaines d’autres questions je vous assure, mais au moins voici celles que je me pose TOUS. LES. JOURS.
Le médical occasionnel
Pour que ma vessie fonctionne comme une vessie dite « normale », je devais faire des injections de toxine tous les six mois, à Paris. Avant chacun de ces rendez-vous, je devais donc gérer l’accord de transport, la réservation du VSL (taxi pour les personnes qui se déplacent pour raisons médicales), faire un ECBU (test pour vérifier que je n’ai pas d’infection urinaire), prévoir un rendez-vous avec mon médecin en cas de résultat positif et dans tous les cas, me procurer un certain type d’antibiotique à prendre à un moment donné.
Et puis une fois par an, je devais rajouter à tout cela un examen sanguin, un bilan urodynamique et un scanner de mes reins. Ma vie est passionnante n’est-ce pas ?
Mais vous l’avez peut-être remarqué, j’écris au passé. La toxine ne fait plus effet sur moi donc on passe à l’étape suivante, je vais me faire opérer pour remplacer une partie du muscle de la vessie par un morceau d’intestin, qui formera alors une poche non musculaire (sous-entendu, non spastique.) Charge mentale méga maximisée ! Stress du retour à l’hôpital, appréhension de la cicatrice physique que ça va laisser, et re examen sanguin, examens urinaires, scanners, transports, papiers d’admissions, organisation quant à mon absence (douze à quinze jours d’hospitalisation)…
Si seulement ça s’arrêtait !
Ce que je décris là, ça n’est qu’une ou deux situations. Qui sont effectivement, directement liées à mon handicap. Mais imaginez la charge mentale des soins qu’entraînera peut-être un jour le fait d’être enceinte ? De tomber gravement malade ? De devoir faire une autre opération pour gagner en confort de vie ? Ajouter ça à ça et encore à ça, à vrai dire c’est éreintant, vraiment.
Du coup, si Marcel étend le linge et fait la cuisine, c’est sûr que c’est plaisant, mais c’est pour moi un réel soulagement, de ne pas avoir à penser à ça également. (Non, je ne le prête pas.)