On m’a dit que j’avais vécu un traumatisme. Il paraît que j’ai eu un accident de voiture. Il semblerait que l’on m’ait annoncé que je ne remarcherai jamais.
C’est une question qui nous est souvent posée : Qu’est-ce qu’il s’est-il passé ? Que t’est-il arrivé ? Comment tu as réagi à l’annonce de ta paraplégie/tétraplégie/amputation (rayez les mentions inutiles) ? Alors aujourd’hui j’ai décidé d’y répondre, une bonne fois pour toutes (c’est beau l’espoir).
Qu’est-ce qu’il s’est passé ?
À vrai dire je n’en sais rien. Ma mémoire a décidé que ça n’était pas important, ou bien trop difficile à garder. Trop difficile à garder sûrement. Je ne suis pas la seule dans ce cas. Beaucoup de personnes qui vivent des chocs violents, traumatisants, ne s’en souviennent pas. Parfois ça revient, quand la personne se retrouve dans une situation similaire, parfois ça ne revient jamais. Au bon vouloir de chaque inconscient. Un peu inquiétant mais ce n’est pas comme si nous avions le choix.
Bien sûr, nous sommes tous en mesure d’apporter une réponse : j’ai glissé sur une plaque de verglas en voiture, je suis tombé d’une falaise, j’ai sauté dans un lac qui n’était pas assez profond, je me suis fait renversé par une moto, j’ai glissé sur une peau de banane, je me suis fait agressé par des inconnus, mon compagnon/ma compagne m’a battu, une grue est tombée sur le bâtiment dans lequel j’étais, j’ai perdu le contrôle de ma luge, j’ai sauté du troisième étage… Autant d’histoires que de situations, autant de causes que d’handi.
Seulement en ce qui me concerne, la réponse ne vient que de ce que les pompiers ont raconté aux médecins qui l’ont raconté à mes proches qui me l’ont raconté. Or nous connaissons tous l’efficacité parfois approximative du téléphone arabe…
J’ai glissé sur une plaque de verglas. Les détails importent peu. Ce n’est qu’une histoire, ce ne sont pas des souvenirs, et ça me va très bien comme ça.
Comment tu as réagi à l’annonce de ta tétraplégie ?
La vie ne ressemble pas toujours à un film. Parfois oui. Mais là non. Il n’y a pas eu de scène dramatique empreinte d’un suspense insoutenable dans laquelle un médecin m’annonçait la terrible conséquence de cet accident-dont-je-ne-me-souviens-même-pas. Je serais incapable de dire qui me l’a dit, quand, ni même si quelqu’un m’a vraiment annoncé ce genre de « nouvelle ». Ma mémoire est sympa, je suis en accord avec sa décision de laisser ça de côté. Après tout, l’état que l’on m’avait prédit à vie, j’en suis aujourd’hui très loin, et je ne m’en suis jamais formalisée. Ça aurait été mal nous connaître, moi et mon pote l’Optimisme.
Donc ce sont des questions inutiles ?
Un peu. Pas tout à fait. Je comprends qu’elles puissent se poser. Mais c’est marrant, il n’y a que les valides pour s’en inquiéter. Je veux dire, quand on se retrouve entre handis, savoir « pourquoi on l’est » est assez loin de nos considérations premières. Quand je suis allée en centre de rééducation en Bretagne, j’ai traîné plus d’un mois avec deux gars en fauteuil avant qu’un soir on se fasse la réflexion que… « Tiens, on ne s’est jamais raconté ce qu’on avait eu pour être là ».
Peut-être que si ça vous inquiète, c’est par peur de vous retrouver face à des situations qui peuvent arriver à tout le monde, vous compris, demain ou ne serait-ce que dans l’heure prochaine ?
Nous on a l’habitude à force, cela devient anodin même si par moment c’est pénible, surtout si ce sont des inconnus dans la rue qui viennent nous questionner sans même prendre la peine d’engager la conversation convenablement. Mais c’est tellement peu important. On aurait pu me raconter que j’avais fait une embardée avec ma voiture en essayant d’éviter un animal : cela aurait été plausible. Quelle preuve ai-je que l’une ou l’autre des histoires est la vraie ? Seulement, là où ça n’a finalement pas tant d’intérêt, c’est que… le résultat est le même. Ma situation actuelle serait la même que ce soit la plaque de verglas ou le renard au milieu de la route qui, ce jour-là, m’ait envoyée dans le décor.
Bien sûr, le sentiment doit être différent lorsque ledit accident implique une ou plusieurs autres personnes. Ce doit être différent également si la ou les personnes en question sont victimes ou si elles sont à l’origine du traumatisme. Mais comme je ne suis pas du genre (me semble-t-il) à parler de ce que je ne connais pas, je resterai sur mon ressenti par rapport à mon cas et conclurai ainsi : lorsque vous rencontrez une personne en situation de handicap, l’important n’est pas de savoir pourquoi il est handi, l’important est de savoir qui il est, juste lui. Parce que debout, en fauteuil, en béquilles ou en marchant sur la tête, une personne reste ce qu’elle est, avec ses goûts, son caractère, son âge, sa famille, ses amis. Demain, si je remarche, je serai la même que celle que je suis aujourd’hui à rouler.
Alors sera-t-il vraiment primordial de savoir qui du verglas ou du renard a changé ma vie ? Ne sera-t-il pas mieux de demander dans quelle mesure ça l’a changée ?