L’amitié. C’est un lien à la fois fort et évident qui, pour ma part, fait partie des priorités dans ma vie. Mais il m’a aussi amené au fil du temps à bien des réflexions en rapport avec le fauteuil. Aujourd’hui, certains de mes amis sont de ceux en qui j’ai une confiance totale, ils sont cette famille que je me suis créée et qui m’entoure, quels que soient les caprices du destin.

Seulement, je suis forcée de constater que, pour la plupart, ils sont dans mon entourage depuis de plus nombreuses années que mon fauteuil. Ils ont connu « l’avant », ce qui m’amène à la question suivante : est-ce parce que je manque de confiance en ma capacité à être aimée en fauteuil que je m’attache moins, ou est-ce parce que ceux qui m’ont aidée à passer les moments les plus difficiles de ma vie ont placé la barre trop haute pour les prochains ?

amitié groupe amis handicap fauteuil roulant Manque de confiance en moi…

Quatre heures et six copies-doubles ne suffiraient certainement pas à faire le tour du sujet je pense, cela dit j’espère pouvoir écarter la première hypothèse rapidement. Je me considère comme aimable, fauteuil ou non, mon histoire avec le Barbu en atteste. Mais je ne peux qu’avoir conscience de mes limites qui peuvent entraver la création de liens profonds. Par exemple, j’ai une amie que je ne connais que depuis 3 ans pour laquelle je me dis souvent qu’on aurait pu faire tellement de choses chouettes ensemble si nous nous étions rencontrées dans un monde parallèle où je n’aurais pas eu d’accident. J’aurais pris plaisir à me motiver avec elle pour aller courir, pour sortir le soir, pour se faire des week-ends à droite ou à gauche. Bien sûr que le handicap ne m’empêche ni de sortir le soir ni de partir en week-end, mais c’est toujours plus difficile d’embarquer des personnes dans une péripétie incluant le fauteuil lorsque ça représente une part intégrante de ce que je suis à leurs yeux.

 C’est-à-dire que peu importe celle que je suis, ma compagnie entraînera toujours des paramètres dont on se passerait bien pour faire quelque chose sur un coup de tête ou partir à l’aventure. Les amis qui me connaissent d’avant ne sont pas pollués par ce biais-ci car ils m’ont toujours connue ainsi, force de proposition pour aller ici, faire ça ou sortir là-bas. Ça faisait partie de moi avant que soient intégrées les questions de fauteuil et je crois, peut-être à tort, que ça fait une différence. À mes yeux en tout cas.

En même temps, développer cette idée me fait culpabiliser : ça n’est peut-être pas en moi que je n’ai pas assez confiance, mais en eux, ce qui m’amène à la deuxième hypothèse. Mes amis de « l’avant » ont-ils placé la barre trop haute pour que je me contente des amitiés simples ?

… Ou manque de confiance en eux ?

Il faut dire que j’ai l’intime conviction suivante : sans mes proches, je n’aurais pas eu la force de me battre autant que je l’ai fait. Sans eux pour venir en costumes de licornes au centre de rééducation, pour venir faire des blagues au Nouvel an, pour me faire passer du chocolat en contrebande ou pour m’envoyer des lettres, images et cadeaux de soutien, je n’en serais pas là où j’en suis aujourd’hui : indépendante et épanouie. Alors oui, peut-être que c’est difficile d’arriver après ça. L’amitié prend tant de gallons lorsque l’on fait face à des moments difficiles ensemble ! S’ils sont restés alors que j’étais au fond du trou, dans un état physique à faire peur il faut le dire, et que plus de dix ans plus tard ils sont toujours là, alors oui, ils sont pour moi ces frères et sœurs en qui je crois plus qu’en quiconque. Ils sont ma chance, mes bouées de sauvetages et mes panneaux d’indication tout à la fois.

En continuant sur ma lancée, voici que la culpabilité fait place à une autre émotion : je me trouve injuste. Parce qu’en réalité, des amis qui sont arrivés après il y en a, mais comme toute amitié elle est en cours de construction simplement parce qu’elle est plus récente.

Peut-être que j’ai perdu de vue certains codes, peut-être que j’ai parfois l’impression d’être une amie « trop compliquée à vouloir garder » parce que lorsque l’on veut faire des choses avec moi il faut penser accessibilité et praticité, alors je me mets moi-même en retrait. Mais rien n’est vraiment prédestiné : rien ne me dit que les amitiés récentes d’aujourd’hui ne seront pas encore là dans dix ans. Il suffit que je leur donne une chance autant que je me la donne à moi aussi. Parce que certaines de mes amitiés d’« avant » étaient déjà fortes avant que ne se passe mon drame ce qui signifie que ce dernier n’a pas été une épreuve en soi pour elles.

Au final chaque amitié est différente, va et vient à des moments particuliers de nos vies, le tout est d’en saisir la préciosité, qu’importe les questions qui se baladent en arrière-plan.

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