Je crois que la sensibilisation au handicap ne pourra jamais atteindre l’objectif qu’on lui donne. PAF ! Début d’article choc (ou pas). Je m’explique : Je crois que les gens qui ne sont pas concernés par un handicap considéré comme lourd ont besoin de se le figurer de la pire des manières… Parce que ça les rassure. Les personnes avec un handicap font partie des sujets concernés par l’expression « Oh, il y a pire ». Ce fameux « Oh il y a pire » qui fait croire à notre interlocuteur que l’on relativise une situation déplaisante… Alors que souvent, ce n’est pas le cas en plus !
Je ne suis pas une menteuse
Avoir la preuve concrète et vivante qu’il existe des vies qu’ils n’envieront jamais permet aux gens de prendre du recul sur leurs propres malheurs. Le tout de façon inconsciente bien sûr. Et quand j’ai l’air d’écrire à propos d’un groupe donné, c’est en réalité le cas de tout le monde. Quelque part nous trouvons tous du réconfort à constater qu’il y a plus malheureux que soi, plus malchanceux ou malaimé. Combien de fois ai-je dis que subir un accident de la route et ses conséquences, malgré la vie difficile qu’elles m’apportent par moment, me paraissait bien plus acceptable à vivre que d’être née dans les années 30 par exemple (et subir la guerre de plein fouet, ado) ?
Je m’étonne parfois de me sentir obligée de justifier, de prouver même le fait que je sois heureuse malgré mon fauteuil à des personnes qui m’inondent de leur pitié déplacée. Je me surprends à essayer de les convaincre que ma bonne humeur, ma joie de vivre, ne sont pas feints. Ils me jettent parfois des regards suspicieux, des fois que je mentirais, vous voyez ? Alors qu’en réalité le problème ne vient pas de leur incompréhension face à ma situation, ni même de leur ignorance. Elle vient du fait qu’ils ont besoin de me voir comme la pauvre créature anéantie qu’ils se sont figurés pour diriger leur douleur vers l’extérieur plutôt que de la garder en eux. Le truc, c’est que je ne suis pas responsable de ce qui ne leur convient pas dans leur existence et, de fait, je n’ai pas du tout envie de leur servir de baume du tigre… (ou de pansement).
Je ne généralise pas
Je sais ce que vous devez vous dire : « Est-ce qu’elle n’exagèrerait pas un peu quand même ? » Je vous répondrais ceci : les gens qui vont bien de manière générale, mais qui sont dans la méconnaissance du handicap, vont d’abord me regarder avec pitié, c’est vrai. Cependant, ils vont très vite changer d’avis parce qu’ils vont me poser des questions. Au-delà de ça, ils vont même – ça va paraître fou (non) – écouter mes réponses ! Et en faisant cela, ils vont intégrer que oui, ce qui m’est arrivé est un drame, mais que je l’ai transformé en quelque chose de tout à fait acceptable, voire enviable car oui (encore) je suis heureuse. Or le bonheur n’est pas donné à tout le monde, ou du moins reconnu et profité par tout le monde.
Lorsque l’on m’entend dire que j’ai eu un accident lorsque j’avais vingt ans et que depuis je suis en fauteuil, on trouve cela terrible. Et oui ça l’est, évidemment que ça l’est. Mais posez-vous cette question : quelle est la pire chose qui vous soit arrivée dans votre vie ? Mettons de côté la moindre comparaison ou le moindre jugement de valeur. Comme c’est la pire chose que vous ayez vécue, à vous elle paraît grave n’est-ce pas ? Pour autant l’avez-vous surmontée ? Le décès d’une mère, un amour perdu, un cambriolage ou des violences conjugales, peu importe. Il vous en reste des séquelles mais vous, aujourd’hui, vous êtes ici dans cette vie au cours de laquelle il vous arrive d’oublier que vous avez vécu cela, dans laquelle il vous arrive de rire aux éclats et de pleurer de joie. Cela signifie-t-il que vos malheurs n’ont pas de valeur ? Qu’ils ne sont finalement pas si dramatiques que « ça » ? Absolument pas. Ce que ça veut dire c’est simplement, sans culpabilité à avoir, que vous allez de l’avant.
J’avance
Moi je vais de l’avant, et je n’ai aucune envie de faire la liste des choses extraordinaires qui m’arrivent ces dernières années, uniquement pour que des inconnus se sentent mieux avec leur propre histoire. Est-ce égoïste ? Peut-être… Mais comme le dit si justement Mathieu de « Vivre avec » : nous ne sommes pas vos leçons de vie.