J’aime à le dire, je rêve debout. Pas de fauteuil dans l’inconscient de mes nuits, et j’en suis fière. En même temps ce serait tout de suite beaucoup moins évident de sauver le monde sur mes quatre roues, mais passons.
Est-ce parce que je ne serais pas en accord avec mon handicap ? Peut-être. Et en même temps il y a des fois où je me rends compte, par des pensées réflexes que je fais à moi-même, que le fauteuil est dans ma tête pourtant bien intégré à ce que je suis.
Par exemple…
Vous savez que mes doigts ne fonctionnent pas tout à fait parfaitement ? Mes doigts à droite me permettent de faire tout ce dont j’ai besoin (y compris ramasser une aiguille au sol, si c’est vrai, juré craché si je mens je… BREF). En revanche ceux de gauche restent aux abonnés absents et ce qui m’est permis de faire malgré cela est le résultat des mouvements donnés par mon poignet (c’est ce qu’on appelle l’effet Thénodèse). Et ça fait six ans que je vis très bien ainsi, je ne ressens pas particulièrement mon handicap à ce niveau-là et c’est devenu normal pour moi. De ce fait il m’arrive d’avoir un très furtif moment d’hésitation face à certaines situations auxquelles je ne pourrais plus faire face comme tout à chacun. Une nana à la fin de son shopping, qui doit repartir avec tout un tas de sacs, pendant une demi-seconde je vais me demander comment elle va pouvoir faire pour tout embarquer… Et puis je vais me souvenir que oui, elle a deux mains qui fonctionnent, ELLE !
De la même façon il y a quelques jours je regardais un film dans lequel les personnages principaux construisaient une cabane dans un arbre, mais du style super élaborée (pas de celles qu’on faisait gamins avec deux morceaux de bois et une ficelle). Et bien lorsqu’enfin elle fût terminée, vous savez la première question que je me suis posée ? « Mais comment ils vont faire pour y grimper, ça ne va pas être possible, faudrait une sorte de monte-charge comme dans celle de Georges de la jungle non ? »
Ah. Bah non. Il suffit de grimper à l’échelle. C’est vrai.
En voiture, j’ai des adaptations pour conduire qui ont été étudiées de telle façon que je puisse ne tenir le volant qu’à une main, l’autre s’occupant du levier qui remplace les pédales. Seulement parfois, si je mets le régulateur de vitesse et que la route est dégagée, je peux me libérer du-dit levier. Est-ce qu’alors je l’installe là où elle devrait être à savoir sur le volant ? Rarement. Parce qu’à vrai dire j’ai perdu l’habitude. Alors quand je me force à tenir le cercle de mes dix doigts et bien ma foi, ça me fait tout bizarre, j’ai l’impression que ce n’est pas naturel. Et c’est drôle non ?
En début de mois, j’ai participé au tournage de la série Vestiaires en tant que figurante, et bien sûr je n’étais pas seule dans le rôle de « remplissage de fond ». Alors que je discutais avec l’une de mes collègues donc, moi en fauteuil, elle avec un handicap au niveau du bras, toutes deux en maillots de bain, je l’ai vue s’installer d’une façon qui m’a choquée quelques dixièmes de secondes. Effectivement, elle s’est assise sur un rebord de la piscine les jambes tendues ce qui est absolument improbable pour moi ! Si je voulais me mettre dans la même position, il faudrait que quelqu’un appuie de tout son poids sur mes genoux afin qu’ils ne fléchissent pas : la spasticité a encore frappé !
Finalement…
C’est comme si de temps à autres, j’oubliais ce que c’était d’être valide, de ne pas avoir le corps tout chamboulé qu’est le mien. Dans ces cas-là, ce n’est pas moi qui me paraît bizarre, mais bien vous, en fait. Car si être différent de ce que nous sommes rend la personne en face étrange, alors dans ma tête je suis la normalité et vous êtes l’étrangeté n’est-ce pas ? Je trouve ce retournement de situation très amusant, même s’il est souvent très court et éphémère.
Tu vas prendre une douche ? Ah donc j’ai au moins une heure devant moi pour finir mon article… Ah non, c’est vrai, une heure de douche c’est pour moi, avec les transferts et les temps de déshabillage/habillage. Toi ça va te prendre à peine trente minutes, bien sûr…
Tu as rendez-vous à l’autre bout de la ville dans une demi-heure et tu y vas à pieds ? Mais tu ne seras jamais à l’heure ! Ah, si. Parce que toi tu peux prendre le chemin le plus direct, celui avec la grande volée de marches et les petites rues pavées.
Comme les adultes oublient de penser comme des enfants, il m’arrive moi handi, d’oublier de penser comme une valide…