Il y a quelques jours de cela, j’ai fait une rencontre imprévue qui m’a laissé avec bien des réflexions en tête. Une rencontre donc, qui m’a donné envie de vous la raconter sans but précis, aussi simplement qu’elle s’est déroulée.
Le contexte était le suivant : j’étais en ville avec une amie et nous déjeunions dans un restaurant simple, familial. Il y avait un peu de monde mais l’espace étant grand, ça n’était pas dérangeant. Alors que nous discutions de nos activités du moment respectives, la porte d’entrée, dans mon dos, s’est ouverte. Une minute plus tard, je vois passer une femme, certainement pas si éloignée de moi en termes d’âge, sans réaliser tout de suite qu’elle était suivie.
Rose et son cadre de marche
C’est d’abord le son qui m’a fait baisser les yeux vers cette enfant, haute comme trois pommes (et quelques), qui se déplaçait avec une drôle d’aide métallique. Pour marcher, elle se tenait sur ce qui s’apparentait à un petit déambulateur inversé, la barre à l’arrière et non devant. J’apprendrai plus tard que le terme exact pour cet objet est « cadre de marche ». Je l’observais discrètement suivre sa maman jusqu’à leur table située un peu plus loin. Il était évident que ses jambes n’étaient pas très sûres puisqu’elle faisait un pas après l’autre avec une drôle d’allure dénuée de fluidité. Mais cette gamine dégageait quelque chose de tellement… normal. Comment vous l’expliquer ?
Avec les années de rééducation que j’ai derrière moi maintenant, j’ai déjà croisé un certain nombre d’enfants en situation de handicap, de tous les styles, de toutes les gravités. Du petit bras cassé qui va se remettre en quelques mois, au grand brûlé qui porte des coques partout sur le corps pour le protéger. Il n’y avait donc derrière mon regard aucune arrière-pensée, aucune sympathie ou pitié mal placées, juste de l’observation pure et simple. Et ce que je vis c’est une enfant comme n’importe quel autre enfant, content d’aller manger des frites et de commander une glace au moment du dessert. Une enfant qui fait ce qu’elle peut faire toute seule, et se laisse aider par un adulte pour le reste.
L’amie avec qui je déjeunais connaissait la maman de cette jolie tête blonde ce qui fait qu’en repartant, le duo s’est arrêté à notre hauteur pour échanger deux mots. Pendant que sa mère et ma copine de tablée discutaient, Rose s’est adressée à moi en parlant extrêmement bien pour quelqu’un qui ne devait avoir que quatre ou cinq ans. « Et vous, comment vous vous appelez ? »
Conversations et prise de conscience
Je fus très contente de constater que mon interlocutrice était tout à fait banale bien que pleine de vie et encore une fois… de conversation ! J’ai l’ai d’ailleurs recroisée plus tard alors que j’étais seule à faire du shopping ce qui a donné l’occasion à sa maman de me parler. En quelques minutes j’ai compris que la vie n’était pas facile, que Rose avait dû changer d’école pour être prise en charge convenablement, qu’obtenir des droits était une bataille car, je cite « Certains pensent encore que le handicap ne peut pas exister à cet âge-là. » Mais ce qui m’a le plus à la fois déstabilisé et touché, c’est lorsqu’elle m’a remercié et que Rose a répété du haut de ses quelques années « Merci pour votre exemple. »
Je n’avais jamais pris conscience que je pouvais être un « exemple » pour des enfants en situation de handicap, être « une preuve qu’une vie heureuse est possible en fauteuil » simplement en étant comme je suis : active, adaptée et épanouie dans mon quotidien. Je crois que j’aime bien cette idée, de donner de l’espoir à des parents qui ont peur pour l’avenir de leurs enfants, et je suis certaine que Rose aura une vie aussi merveilleuse que son visage illuminé lorsqu’elle parle comme si elle avait deux ans de plus !