Chaque année je participe à la Journée de la Différence organisée pour les élèves de sixième dans un collège privé de la ville dans laquelle j’habite. Je tiens à continuer d’aller sensibiliser les classes de sixième le matin et à leur donner une petite conférence sur mon handicap l’après-midi.
C’est une organisation qui est bien rodée maintenant et qui me permet de rester connectée à l’évolution du handicap dans les esprits. Ça n’est pas la première fois que j’en parle sur Sojadis, mais souvent ce sont des anecdotes mignonnes et amusantes que je retire de cette expérience annuelle. Cette fois, il est question d’un truc qui part de quelque chose de mignon mais qui, lorsqu’on y pense, est le résultat de comportements qui le sont beaucoup moins ! Je m’explique.
La question innocente…
Le matin donc, toutes les classes sont mélangées : les élèves sont par groupes de quinze et tournent toutes les demi-heures pour passer d’un témoignage ou activité à un(e) autre. Dans le gymnase il y a activité « parcours à l’aveugle » et « parcours en fauteuil ». Dans le self, ils rencontrent un chien d’assistance et sa formatrice. Dans telle classe il y a une personne qui a la sclérose en plaque, dans une autre il y a des membres d’une association d’aide à la personne, etc. Et puis, il y a moi tétraplégique incomplète suite à un accident de voiture et mon ami François qui en fauteuil à cause, entre autres, d’un syndrome d’Ehlers Danlos (maladie héréditaire des tissus entre les organes dits « tissus conjonctifs »).
Lorsque nous nous retrouvons le midi, nous prenons toujours plaisir à faire le concours de la question la plus drôle qu’un enfant nous ait posée. François m’explique que l’un d’eux, avec toute sa maladresse de petite fille de onze ans, lui a demandé « ce que ça fait de vivre avec tous ces privilèges ? » Sur le coup c’est mignon, c’est rigolo, mais soyons conscient deux minutes de ce qui se cache derrière cette phrase. Ce mot « privilège » est très spécifique, pas sûre qu’il vienne d’elle, comme il ne vient pas de nous sans l’ombre d’un doute.
C’est un terme d’adulte « privilège ». Alors quoi ? Ses parents ? Un prof ? Un inconnu dans la rue ? Peu importe, le fait est que ce mot lorsqu’elle l’a entendu allait de pair avec le handicap.
Le handicap, une vie de Roi ! (ou pas)
Ah ben oui en même temps ! On a le droit à des places de parking spéciales, on a le droit à une allocation particulière, on le droit de passer devant tout le monde dans les files d’attente et même de passer devant tout le monde à Disneyland Paris dites-donc ! Gros gros privilèges en effet. Dois-je rappeler tous les lieux qui existent auxquels nous n’avons pas droit parce qu’ils ne sont pas accessibles ? Toutes les activités auxquelles nous n’avons pas le droit parce qu’elles ne sont pas adaptées ?
Mais revenons donc sur nos soi-disant privilèges.
- Oui nous avons des places de parking dédiées qui sont tout près des entrées des magasins.
Pourquoi ? Parce que nous avons des fauteuils qui ne nous permettent pas de nous garer aux autres places trop étroites. Enfin si, nous pouvons nous y garer. Juste pas sortir de notre voiture. Et ceux qui n’ont pas de fauteuils ont souvent des difficultés à se déplacer, ont des douleurs constantes ou des problèmes de respirations et d’endurance. Alors pardon mais à choisir, j’échange volontiers mon « privilège » contre l’état de valide.
- Oui nous avons une allocation particulière.
Pourquoi ? Le handicap coûte cher, même au quotidien. Et tout n’est pas remboursé, ce serait trop facile. Les médocs, le matériel médical, les aides humaines, les aides matérielles, les séances de kiné, les séjours à l’hôpital, les examens réguliers… Mettez tout ça bout à bout : l’AAH ne suffit pas, elle n’est même pas accordée à tous les handi ! Le mot « privilège » correspond-il vraiment ?
- Oui nous avons souvent des coupe-file.
Pourquoi ? Le handicap est en grande partie invisible. Même moi en fauteuil, il y a plein d’autres facteurs qui font que la vie n’est pas toujours facile et qui n’ont rien à voir avec l’incapacité de marcher. Et parmi tout ce qui ne se voit pas il y a les douleurs, encore. Il y a les problèmes de spasticité, de raideurs, de vessie qui ne peut pas se retenir aussi bien que celle d’un valide, et puis il y a le temps. Celui que l’on « gagne » à passer devant trois personnes à la caisse du magasin, c’est celui que va nous prendre le fait de retourner à notre voiture, la charger, nous y transférer, y transférer le fauteuil s’il y en a, etc. Et tout ça avec l’énergie que ça implique alors que de l’énergie, nous n’en n’avons pas la même quantité que les non-handi. Une fois encore, j’échange mon privilège et j’attendrai au bout de la file sans souci si c’est sur mes deux jambes avec mon corps en pleine forme !
Troque couronne contre bonnes jambes robustes
Je finirai donc ce résumé du sujet là-dessus : soyons bienveillants, soyons compréhensifs et surtout, surtout, soyons vigilants à ce que nous transmettons aux enfants. Ils sont la société de demain, une société que l’on espère plus inclusive et plus douce que celle d’aujourd’hui. Et si quelqu’un continue de croire qu’être en situation de handicap apporte des privilèges, je répondrais que ce sont des aménagements plus que des privilèges… mais s’il les veut, je les lui échange contre son statut de valide avec plaisir.