Je suis en fauteuil et ça implique que, très souvent, les gens aient une certaine forme de pitié à mon égard. Des pensées comme « la pauvre, ça doit être si difficile » sont monnaie courantes. L’un de mes frères m’a même dit il y a peu, au détour d’une conversation lambda, que sa croyance en Dieu qui de base n’était déjà pas bien grande, avait totalement disparue depuis « ce qu’il t’est arrivé. »
Je me suis toujours efforcée d’être optimiste, de me montrer comme telle, d’avoir un discours et des écrits dans lesquels ça transparaît. Ça m’a une ou deux fois porté préjudice dans le milieu même du handicap car j’avais beau nuancer, parler du positif comme du négatif, mon caractère naturellement joyeux dérangeait certains, jusqu’à ce qu’on en vienne à me dire que je « desservais la cause. » Tout ça parce que je montrais un aspect du handicap qui n’était ni dans la plainte ni dans le pathos, ce que j’ai toujours détesté.
Une musique, un visage usé et des larmes
Aujourd’hui j’ai eu une émotion très profonde dont j’aimerais vous parler pour que vous compreniez ce que je vois, moi, de mon handicap.
Il s’agit de ma vie, de mon vécu, de mon sentiment, de mon point de vue, donc à ne surtout pas généraliser s’il vous plaît.
Je regardais mon fil d’actualité Instagram lorsque je suis tombée par hasard sur une courte vidéo d’une personne qui joue du piano dans une gare. Un vieux monsieur qui semble ne rien posséder s’approche pour écouter et… je n’ai pas pu continuer, je ne sais même pas vraiment pourquoi. J’ai ressenti comme une immense vague de tristesse pour ce monsieur qui, arrivé si loin de sa vie, ne possède plus que les vêtements qu’il a sur le dos. J’ai pleuré, je pleure encore en écrivant parce que je me rends compte à quel point il est injuste que certains s’apitoient sur mon sort, tout en ignorant des personnes dans la rue bien plus malheureuses que moi. Comment choisit-on les situations qui nous touchent plus que les autres ?
Moi je suis en fauteuil sans que je n’ai pu rien y faire : j’ai glissé en voiture sur une plaque de verglas alors que je conduisais à la bonne vitesse, sans téléphone ni cigarette ou alcool. Mais ça aurait pu être le cas. J’aurais pu avoir bu le verre de trop ce soir-là, j’aurais pu rouler 10km/h au-dessus de la limite imposée, j’aurais pu être en train de lire un sms. Quand des inconnus dans la rue me croisent, ça n’est pas marqué sur mon front. J’ai déjà entendu des personnes qui ne me connaissaient absolument pas lâcher des « elle ne mérite pas ça » comme d’autres dire « les jeunes s’ils ne conduisaient pas n’importe comment ils ne se retrouveraient pas dans ce genre de situation.»
Regarder la vie dans son ensemble
N’importe qui peut tout perdre sans qu’il ne s’y attende.
N’importe qui peut tout perdre parce qu’il a fait des erreurs.
N’importe qui peut échouer à sortir la tête de l’eau, que ce soit en ayant tout fait pour, ou non.
N’importe qui peut remonter la pente, que ce soit en ayant tout fait pour, ou non.
Il n’y a pas de règles, pas de justice.
Quand j’étais lycéenne, j’étais bénévole à la Société Protectrice des Animaux. Un jour, un homme est venu abandonner son chien au refuge, les larmes aux yeux. Il avait perdu son travail, n’était pas protégé contre ce genre de situation donc ne pouvait plus payer son loyer : il s’était retrouvé du jour au lendemain à la rue et il affirmait que son compagnon à quatre pattes méritait mieux. Il méritait une vie au chaud dans une famille qui aurait les moyens de le nourrir tous les jours.
Huit mois plus tard, ce même monsieur est revenu : il s’était battu, avait retrouvé un travail, une situation stable, et venait voir si son chien avait été adopté ou s’il était toujours au refuge. Devinez quoi ? Il était toujours là, et j’ai rarement vu un chien aussi fou de joie de retrouver son maître… et un maître aussi fou de joie de retrouver son meilleur ami pour le bien duquel il avait pris une décision si difficile !
Reconnaître ses privilèges
Vous voyez moi j’ai un toit au-dessus de ma tête, j’ai une famille, des amis, un conjoint, qui sont là en cas de coups durs. J’ai l’argent dont j’ai besoin pour vivre convenablement et même pour faire face aux dépenses imprévues liées parfois à mon fauteuil. J’ai un travail, plusieurs même et mis à part les coups de blues que je peux avoir comme vous pouvez en avoir parfois aussi, je suis heureuse dans ma vie en générale. Le handicap est là, il me met parfois en difficultés, mais qui n’en n’a pas, de difficultés ? Je ne minimise pas mes problèmes moteurs, j’annonce des faits : j’ai appris à vivre avec, même s’ils sont durs, et tout ce qui compose ma vie en dehors de ça va bien. Donc n’ayez pas d’empathie pour moi, ayez-en pour ceux qui n’ont rien, même sur leurs deux jambes.